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Dans cet article, Kirill Nazarenko analyse le film Master and Commander: The Far Side of the World.
Bonjour ! Aujourd’hui, notre numéro sera consacré à l’analyse d’un très bon film, « Master and Commander: The Far Side of the World ».
Le genre de mon intervention implique évidemment une part de critique : je vais mentionner certains éléments qui m’ont paru discutables, mais dans l’ensemble, le film Master and Commander est très réussi.
Il faut noter que je ne connais pas d’autre film consacré à la flotte à voiles qui montre sa réalité aussi bien que le film Master and Commander.
En effet, le navire paraît réel, et certains petits détails sont de véritables éléments de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle.

Le film « Master and Commander » : un étai en forme de colonne à bord du navire
À l’image, de temps en temps, on voit une colonne qui soutient le plafond et se trouve à l’intérieur du local. Cette colonne ressemble à une colonne ronde avec un petit chapiteau, et c’est effectivement l’aspect qu’avaient ces étais à bord des navires de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle : ils remplissaient non seulement une fonction technique mais aussi esthétique. Certes, dans le film Master and Commander cette colonne semble plutôt métallique, ce qui est typique du milieu du XIXe siècle, mais cela reste un navire à voiles, et même dans ces détails, les auteurs du film se montrent assez précis.
Si l’on parle de l’aspect technique, l’intrigue du film Master and Commander repose sur le combat de deux frégates, ce qui était typique non tant des guerres napoléoniennes que de la deuxième guerre d’Indépendance (1812-1815), lorsque les États-Unis et la Grande-Bretagne se sont affrontés pour la seconde et dernière fois sur le champ de bataille. Pendant cette guerre, les frégates américaines ont joué un rôle majeur. C’était un phénomène unique.
Il faut comprendre que, comparées aux frégates britanniques, françaises, russes, etc., les frégates américaines étaient de véritables « manoirs flottants ». Lorsque les Américains décidèrent, en 1794, de recréer une flotte de guerre, qui existe de manière continue jusqu’à aujourd’hui, ils prirent la décision de ne pas construire de vaisseaux de ligne. Ils comprenaient qu’ils ne pourraient pas construire autant de vaisseaux que la Grande-Bretagne et qu’ils seraient toujours plus faibles. En cas de guerre future, ils misaient plutôt sur la lutte sur les communications maritimes et sur la capture des navires marchands ennemis. Pour ce type de tâches, il fallait construire des navires très puissants de la classe des frégates.
C’est ainsi que naquit la frégate américaine, qui, à l’origine, était une frégate de 44 canons, puis de 50, voire de 60 canons. Elles étaient très longues. Elles possédaient une longue batterie sur laquelle on pouvait installer de nombreuses pièces d’artillerie.

Master and Commander. Frégate américaine du XVIIIe siècle
Dans le même temps, les Américains n’ont pas construit beaucoup de frégates, ce qui garantissait une très grande qualité de construction. Je rappelle que la frégate Constitution flotte encore aujourd’hui. C’est un cas unique dans la pratique mondiale : un navire en bois qui reste à flot depuis plus de 200 ans, même en ayant été réparé.
La coque était construite en chêne spécialement préparé. Les Américains disposaient de vastes forêts et ne construisaient pas énormément de navires de guerre, ils pouvaient donc sélectionner leur bois avec grand soin. De ce fait, ces frégates américaines se sont révélées très solides, si bien que, dans tous les affrontements en tête-à-tête avec les frégates britanniques durant la deuxième guerre d’Indépendance, les frégates américaines sont sorties victorieuses.
Cela a été une véritable gifle pour les Britanniques, qui avaient l’habitude de vaincre les Français lors des combats en un contre un. Mais ce n’est pas étonnant, car l’Angleterre avait une mission complètement différente. Elle devait construire un grand nombre de frégates capables de protéger le vaste commerce maritime britannique contre les corsaires français pendant les guerres napoléoniennes. Pour cela, il fallait construire des frégates relativement petites et peu puissantes, portant 20 à 30 canons, voire même non pas des frégates, mais des sloops ou des corvettes : ce sont des navires à trois mâts sans pont d’artillerie couvert, les canons étant installés sur un pont unique, à l’air libre. Un sloop ou une corvette pouvait porter 20 à 24 canons.
Mais dans ce cas précis, c’est une frégate anglaise qui est montrée dans le film Master and Commander.

Le film « Master and Commander » : la frégate anglaise
Elle semble porter une trentaine de canons, probablement de 18 livres. Mais il est évident qu’une frégate de 30 canons armée de pièces de 18 livres avait très peu de chances face à une frégate américaine de 44 canons, avec des pièces de 24 livres sur le pont couvert et des caronades de 24 livres sur le pont supérieur. Ce type de frégate deviendra plus tard classique, et dans les années 1840 beaucoup de nations en construiront. À cette époque, les Américains construisaient déjà des frégates de 60 canons.
Par conséquent, dans un véritable combat entre une frégate anglaise et une frégate américaine, la première n’avait tout simplement aucune chance, même en tenant compte de l’excellente formation et de la grande expérience de combat des marins anglais, que les Américains n’avaient pas. Mais un film ne serait pas un film si le protagoniste échouait. C’est pourquoi l’action du film Master and Commander est transférée à la guerre contre les Français, pour que le public anglophone ne soit pas divisé pendant le visionnage et que tout le monde se range du côté du héros principal. Et, comme il est naturel au cinéma, le personnage principal est montré vainqueur.
Dans le même temps, la question des caractéristiques techniques de la frégate française avec laquelle il doit se battre reste en suspens. On nous dit qu’il s’agit d’une frégate de 44 canons, dont les flancs sont en chêne des marais et ont 2 pieds d’épaisseur.
Plus loin, dans le film Master and Commander, on apporte au capitaine britannique un modèle, réalisé par les marins, représentant les formes de ce navire français, car l’un des marins l’a vu au chantier naval de Boston, où il a été construit.

Le film « Master and Commander » : les marins montrent au capitaine le modèle du navire français
Et là, on obtient un moment plutôt amusant : l’équipe qui a tourné le film a un peu manqué de connaissances. Car je pourrais croire que les marins aient taillé les formes du navire dans un simple bloc de bois, c’est-à-dire qu’ils auraient pris une pièce de bois et en auraient sculpté les lignes au couteau. Cela aurait déjà donné au capitaine certaines informations.
Or, à l’écran, nous voyons un modèle d’Amirauté, comme on en réalisait aux XVIIe, XVIIIe et début XIXe siècles lors de la construction de tout navire important, surtout militaire, car les charpentiers ne comprenaient pas les plans. Les maîtres de chantier savaient les lire, mais il fallait expliquer au charpentier où fixer et assembler chaque élément, d’où la création de ces modèles d’Amirauté. Ils reproduisaient exactement l’ossature de la coque, généralement sans bordage, ou avec un bordage posé sur un seul côté pour qu’on puisse voir la structure interne. De plus, l’élément principal du modèle d’Amirauté était le réseau de couples et de barrots qui soutenaient les ponts, ainsi que les liaisons horizontales ou inclinées entre les couples, car c’est pour visualiser ces parties que l’on créait ces modèles.
Il est évident que le marin qui, un jour, a vu la frégate en construction à Boston, sans même travailler sur ce chantier, ne pouvait pas, quelque temps plus tard, décrire cette structure à son camarade avec une telle précision pour qu’il en fasse un modèle d’Amirauté : c’est impossible. C’est de la pure fantaisie. En outre, la position exacte des barrots n’aurait guère intéressé le capitaine, qui doit affronter le navire représenté sur le modèle.
Encore une fois, lorsque le capitaine du film Master and Commander parle d’un « nouveau mot dans la technologie navale », il prononce quelques termes exacts, mais le modèle ne correspond pas à ces termes.
Pour souligner le caractère novateur de la conception, j’aurais montré un arrière rond. C’est-à-dire qu’à la partie supérieure de la poupe se trouvait la cabine du commandant, visible de l’extérieur sous forme de fenêtres à petits carreaux, par opposition aux sabords d’artillerie qui se poursuivaient plus loin. Cette partie du navire avait dans tous les cas une forme trapézoïdale avec des angles marqués.
Au-dessous commençait l’évidement arrière, qui passait ensuite dans le tableau, c’est-à-dire une cloison plane fermant la coque du navire. Le tableau rejoignait l’étambot. C’était le point faible du navire, non pas tant au combat qu’en navigation, car la jonction du tableau et des flancs, faite en angle, manquait de rigidité.

Le film « Master and Commander » : la poupe du navire
C’est pourquoi, à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, on eut l’idée de rendre cette partie de la poupe arrondie. Ainsi, en haut, au niveau de la cabine, elle restait rectangulaire, mais on commençait à l’arrondir à la hauteur de la partie supérieure du gouvernail. Cela apportait certains avantages, tant pour la résistance à l’eau que pour la solidité de la coque. La poupe arrondie était donc à la mode au début du XIXe siècle, et on aurait très bien pu la montrer ici.
Quant aux lignes très aiguës montrées dans le film « Master and Commander: The Far Side of the World », il y en a clairement trop. C’est parce que, dans la seconde moitié du XIXe siècle, sont apparues les formes dites de « clipper », c’est-à-dire des étraves très effilées, largement utilisées sur les clippers.
Si vous regardez les voiliers modernes qui naviguent encore aujourd’hui, ils présentent souvent des lignes très vives, avec un nez allongé, mais cela relève déjà de l’architecture navale de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans la première moitié du XIXe siècle, personne ne doutait que l’étrave devait être arrondie pour ne pas s’enfoncer dans l’eau, ce qui était très important.
Si le navire possède des lignes trop fines, il a tendance à enfourner la vague lorsqu’il la prend de face ou lorsqu’il la rattrape. C’est très dangereux, car il devient alors presque impossible de rester sur le pont. Certains navires modernes équipés de turbines à vapeur peuvent s’en sortir, car, premièrement, ils sont très grands, et deuxièmement, en cas de tempête, on peut rester à l’intérieur.
Sur un navire à voiles, la possibilité de travailler plus ou moins confortablement sur le pont était une condition indispensable à son existence. On ne pouvait pas laisser les vagues déferler librement sur le pont, car de nombreuses personnes y travaillaient. Cette caractéristique d’étrave légèrement arrondie permettait au navire de mieux monter la vague. Ainsi, des lignes trop aiguës étaient plutôt un défaut qu’un avantage.
Je le répète : il est pratiquement impossible de réaliser un modèle d’Amirauté de ce type à partir d’une simple description. On a sans doute un peu exagéré à ce niveau, d’autant que le texte indique que le marin a « taillé » le modèle : il aurait alors dû s’agir d’un simple bloc de bois, et non d’un travail aussi délicat.
Et, bien sûr, récompenser ce travail par un simple verre de rhum est dérisoire, car une personne aurait dû travailler sur ce modèle pendant environ deux semaines. Il devait continuer à monter la garde, à manœuvrer les voiles et à dormir parfois. J’aurais donné quelques guinées à ce marin.
Je rappelle qu’une guinée est une pièce d’or anglaise valant 21 shillings à cette époque, soit 1 shilling de plus qu’une livre sterling.

Le film « Master and Commander » : pièce d’or anglaise, la guinée
Étant donné que les marins anglais qualifiés de la Royal Navy recevaient environ 10 livres par an, je pense que ce travail valait bien quelques livres. De plus, l’intendant du commandant déclare qu’il lui donnera du vin au lieu du rhum. Tout cela ne paraît pas très généreux.
Passons maintenant à la scène de tempête dans le film « Master and Commander ». Elle est montrée de manière assez convaincante. La seule chose qui m’interroge, c’est la façon dont les marins portent leurs vêtements.
Bien sûr, les marins allaient déboutonnés et plutôt échevelés, c’était courant. Mais pendant une tempête, accompagnée de pluie et de vent violent, tout être humain a instinctivement envie de se couvrir, de se boutonner. Et là, marins et officiers, par beau temps comme par mauvais temps, restent déboutonnés.
De plus, cette manière caractéristique du cinéma moderne de montrer le héros principal tête nue est totalement absurde. Les marins portaient presque toujours une coiffe, et à coup sûr par mauvais temps.

Le film « Master and Commander » : le personnage principal
Pour montrer toute l’humanité des héros et la tragédie de la situation dans le film « Master and Commander », les cinéastes ont un peu tiré en longueur l’épisode où l’on coupe les cordages. Mais il n’est pas très clair de quoi le navire est exactement débarrassé. Apparemment, c’est le mât de hune qui se casse, c’est-à-dire la partie supérieure du mât, avec sa vergue et sa voile, et qui tombe à la mer. Bien sûr, il reste relié au navire par certains cordages, qu’il faut couper. Car, dans ce cas, on se retrouve avec une sorte d’ancre flottante.
Ce procédé était également utilisé dans la conduite du navire en temps normal. Si l’on voulait réduire la vitesse pendant une tempête, on jetait une ancre flottante. On la construisait à partir de mâts et de vergues de rechange, attachés en triangle, parfois avec des voiles de rechange. On jetait cet ensemble par-dessus bord, et il traînait derrière le navire, créant une forte résistance. Ainsi, on pouvait ralentir le mouvement du navire.
Dans certaines conditions, c’était nécessaire. Mais une ancre flottante accidentelle, comme celle qui apparaît dans le film « Master and Commander », était très dangereuse. Cependant, non pas parce que le navire risquait de chavirer (cela pourrait arriver si le mât se brisait complètement), mais parce que cette ancre flottante gênait fortement la marche du navire.
Pendant une tempête, deux options de déplacement s’offraient au navire. Soit il se mettait en cape, tandis que une partie des voiles restait bordée comme en marche normale et une autre partie était réglée pour que le vent les frappe du côté opposé, ce qui limitait la dérive sous le vent. Cela permettait au navire de garder à peu près sa position. On pouvait parfois ajouter une ancre flottante pour ralentir encore davantage la dérive. Mais le navire subissait alors davantage de contraintes : les vagues frappaient la coque, le vent soufflait violemment sur le gréement, et en cas de très forte tempête, il était impossible de rester en cape. Dans ce cas, on ne pouvait laisser qu’une petite partie des voiles, ou des voiles de tempête spéciales, et avancer dans une certaine direction.
Cependant, la solution la plus sûre vis-à-vis du vent était de courir vent arrière. La vitesse devenait alors très élevée, et il était possible de se retrouver très loin de la route voulue. On devait donc parfois adopter d’autres allures. Mais, dans tous les cas, un mât de hune traînant à la mer avec sa vergue et sa voile ne faisait qu’aggraver la situation, il fallait donc le couper.
Le sort d’un marin tombé à la mer pendant une tempête, ou emporté avec un morceau de gréement, était scellé : il était presque impossible de le sauver. Tout marin de la flotte à voiles savait que c’est le reste du navire qu’il fallait sauver.

Le film « Master and Commander » : un marin pleure le défunt
De plus, la scène où l’on crie au marin tombé à l’eau de « nager quelque part » n’est pas très crédible. Une chute de 10 à 20 mètres avec impact sur l’eau entraînait, dans la plupart des cas, une perte de connaissance immédiate, et la personne coulait tout simplement. Il est évident que, pour que le spectateur pleure, le cinéma doit un peu prolonger cette scène, et que tout le monde doit discuter de la mort du marin.
Je ne veux pas dire que les gens du XVIIIe siècle étaient totalement indifférents à la mort d’un camarade. Bien sûr que non. Mais dans cette situation, tout était clair pour tout le monde, et les regrets et discussions sur la mort du compagnon auraient eu leur place après la fin de la tempête. D’autant plus que, pendant la tempête, chacun avait largement assez à faire pour ne pas avoir le temps de se lamenter. La scène où l’on partage les effets du défunt aurait pu être montrée un peu plus tard, pour souligner que les marins le regrettaient réellement.
On aurait pu, par exemple, montrer la scène de l’héritage des effets maritimes. Il existait la règle suivante : si un marin n’avait pas de proches, ses biens revenaient à ses amis les plus proches. Ou bien on pouvait montrer quelqu’un prêt à prendre ces effets pour les remettre à sa femme ou à sa mère, ce qui était tout à fait naturel. Ce type de scène aurait permis de montrer comment les marins honoraient la mémoire du défunt.

Le film « Master and Commander » : l’équipage du navire honore la mémoire du défunt
Enfin vient le combat dans le film « Master and Commander ». Commençons par l’idée du capitaine de tirer sur le mât du navire français.
En combat naval, cela a du sens, mais pas à cette distance. Le combat est montré à portée de pistolet, et, dans ce cas, il fallait viser la coque et le pont, non le mât.
D’un autre côté, ce procédé est légitime, et il est possible que les auteurs de Master and Commander aient voulu souligner cet aspect. Le tir sur le gréement était une technique caractéristique des Français. C’est une longue histoire, liée aux études théoriques des officiers français au XVIIIe siècle, et à l’élaboration de tactiques permettant, dans tous les cas, de réduire un combat contre les Britanniques à un match nul.
Mais pour cela, il n’était absolument pas nécessaire de retirer les roues des affûts. Il existait une méthode parfaitement banale. Tout affût de marine permettait de relever le tube du canon de 10 à 15 degrés : c’est un angle d’élévation très important. Car, à 100 mètres de distance, en relevant le canon de 15 degrés, on peut atteindre une hauteur de presque 10 mètres. On pouvait donc toucher le mât de cette manière.
Et si l’on voulait vraiment relever le canon très haut, on pouvait placer des cales sous les roues avant. C’était tout à fait possible, car on plaçait déjà de telles cales sous les roues arrière lorsque l’on immobilisait les canons pendant une tempête. On les amarrrait de manière à ce que la bouche vienne en butée contre le mantelet de sabord fermé, et l’on coinçait des cales sous les roues pour les fixer. Naturellement, le canon pouvait encore reculer un peu, mais il ne sortait pas des cales parce qu’il était retenu par les palans de retraite, c’est-à-dire les cordages et poulies servant à ramener l’affût en batterie, et leur résistance suffisait pour empêcher l’affût de rouler librement.

Le film « Master and Commander » : les canons du navire
Après le coup, on relâchait les palans, de sorte que le canon reculait violemment. Les palans, cordages passant dans les poulies, freinaient un peu ce recul. Puis le canon s’arrêtait lorsque la longueur des bragues, ces gros cordages fixés aux deux bords du navire et passant derrière l’affût, arrivait à son terme. On pouvait alors recharger l’arme en toute sécurité.
Retirer les roues n’était pas une mauvaise idée parce qu’on ne pourrait plus recharger, mais parce qu’au recul, le canon glisserait malgré tout sur le pont et endommagerait gravement le plancher. Même les roues en bois abîmaient le pont en roulant. De plus, comme les marins étaient pieds nus, le nombre d’échardes dans leurs pieds pouvait être très élevé, même après un tir normal.
Et si l’on retirait les roues arrière, le pont serait littéralement labouré. Sans parler du risque de renversement du canon. Le pont n’était pas parfaitement lisse, les planches étaient posées dans le sens de la longueur du navire et non en travers, et le canon devait se déplacer en travers des planches. Il suffisait qu’une planche dépasse un peu pour qu’il y ait un danger réel de voir l’affût se renverser. Je suis donc convaincu que personne n’a jamais retiré les roues d’un affût de canon.
Au passage, le film « Master and Commander » montre très bien que les canons anglais sont équipés de platines à silex, comme les fusils, et qu’ils tirent non pas parce qu’on approche une mèche lente, mais parce que le marin tire sur une corde : le silex frappe la batterie, produit des étincelles qui enflamment la poudre du bassinet, puis le feu passe dans le canon et le coup part.
C’est à l’origine une invention anglaise, et au début du XIXe siècle, toutes les pièces d’artillerie des navires britanniques étaient équipées de platines à silex. Ce système avait ses défauts : le silex ne garantissait pas 100 % de coups partis et des ratés pouvaient se produire, sans compter sa sensibilité à l’humidité. Mais, du point de vue de la cadence de tir et de la sécurité, c’était un immense progrès.

Le film « Master and Commander » : la scène d’abordage
Vient ensuite, dans le film « Master and Commander », la scène d’abordage, où le capitaine, avec ses pistolets, se promène sur le pont comme un cow-boy avec ses revolvers, en tournant dans tous les sens.
Pourtant, avant l’apparition de la platine à percussion, les armes à silex ne fonctionnaient pas de manière parfaitement fiable. La platine à percussion apparaît, pour la chasse, dans les années 1820, et, pour les armes militaires, dans les années 1840, lorsqu’on a appris à produire le fulminate de mercure et à le conditionner dans de petites capsules en cuivre que l’on frappait avec un chien, ce qui produisait une flamme enflammant la charge. Ces capsules assuraient presque 100 % de coups partis, contrairement aux silex.
Nous avons des statistiques : les platines anglaises, de très bonne qualité et très coûteuses pendant les guerres napoléoniennes, avaient un raté tous les 50 à 60 coups, tandis que les platines françaises rataient une fois tous les 15 à 20 tirs. Cela signifie qu’au moins une fois sur 15 à 20 coups, votre arme ne tirait pas.
Et si, en plus, on s’agitait avec l’arme, qu’on la portait à la ceinture, qu’on l’empoignait brutalement, le risque de raté augmentait encore, car, pendant qu’elle pendait, la poudre pouvait tomber du bassinet, s’humidifier, voire la balle pouvait simplement sortir du canon. Par conséquent, il était certes possible de se promener avec deux pistolets, comme le fait le capitaine, mais c’était risqué.
En règle générale, au XVIIIe et au début du XIXe siècle, on prenait une arme blanche – sabre, épée ou coutelas – dans la main droite, et l’on tenait le pistolet dans la main gauche. Si le pistolet ne tirait pas, l’arme blanche fonctionnait, elle, à coup sûr.
D’ailleurs, les officiers de la plupart des armées européennes, pendant les guerres napoléoniennes, n’utilisaient pas de pistolets, surtout ceux qui combattaient à pied : officiers subalternes et commandants de compagnie. Ils jugeaient inutile de porter un pistolet, une épée ou un sabre leur suffisait. Tirer et se battre au corps-à-corps étaient le travail des soldats, et l’officier devait commander : pour sa défense personnelle, sabre ou épée suffisaient.
Seule l’armée autrichienne imposait à ses officiers de porter un pistolet au combat, même à pied. Dans la cavalerie, bien sûr, deux pistolets étaient toujours dans les fontes de la selle, mais c’était le cheval qui supportait ce poids, pas le cavalier. En combat naval, l’armement des équipes d’abordage comprenait toujours une arme blanche et un pistolet comme arme secondaire.
Ensuite, lors de l’abordage, nos héros se balancent brièvement, comme Tarzan, sur un cordage jusqu’au pont du navire ennemi. Cela se produit une ou deux fois sur une courte distance. Et la ruse des Français, qui se cachent d’abord, puis surgissent soudain pour attaquer les Britanniques montés sur un pont jonché de cadavres, semble plutôt cocasse. Comme procédé dramatique, c’est très efficace, mais dans un véritable combat, cela n’aurait pas été possible.

Le film « Master and Commander » : tireur dans la mâture
J’ai également été un peu surpris de voir que les Royal Marines dans le film « Master and Commander » servent de tireurs dans la mâture. En réalité, dans notre monde, les marines montaient rarement dans les mâts.
Ce n’était même pas le cas de tous les marins : seulement environ 10 % de l’équipage d’un navire de guerre montait dans la mâture. Et si l’on considère uniquement les matelots, environ 20 à 25 % d’entre eux devaient travailler dans les hauts. On sélectionnait ceux qui savaient tirer et on les armait de fusils rayés, des armes longues spéciales appelées « fusils de filibustiers ». Ces fusils avaient un canon pouvant atteindre un mètre et demi de long et offraient une meilleure précision.
Ce sont ces hommes-là qui tiraient depuis le haut, alors que les soldats du corps des marines n’auraient tout simplement pas pu grimper aussi haut, et encore moins tirer efficacement depuis une hune qui balance. Il fallait une pratique particulière, ce qui ne correspondait pas au profil d’un soldat habitué à tirer en formation à terre.
Dans le film, les soldats de « Master and Commander » sont censés avant tout tirer rapidement, la précision n’étant qu’un bonus éventuel. Je ne parle même pas de l’uniforme des soldats. Dans le film, ils sont très correctement montrés, boutonnés et assez soignés. C’est ainsi qu’ils devaient être. Toutefois, dans la flotte anglaise, les soldats portaient souvent une tenue de marin au combat, car elle était plus pratique. Par exemple, en Russie, les soldats du corps des marines recevaient officiellement des pièces d’uniforme de marin pour la vie quotidienne. En combat, en revanche, ils étaient tenus d’être impeccables.
Je dois dire, d’ailleurs, que les officiers de marine avaient aussi une apparence assez soignée en combat : ils mettaient une chemise blanche propre et la boutonnaient. Dans le film, ils ressemblent parfois à une bande de voyous. En temps normal à bord, c’était acceptable, faute de possibilité de se laver et de laver son linge, mais en combat, l’officier devait avoir une allure impeccable. Les aspirants sont, eux, montrés assez élégants : on voit que ces jeunes gens se préparent au combat, alors que le capitaine reste échevelé comme il l’était auparavant.

Le film « Master and Commander » : le capitaine du navire
On trouve aussi une erreur flagrante dans le film « Master and Commander », qui peut d’ailleurs venir d’un problème de traduction : les Français crient « Stop ! ». Or, un navire à voiles ne peut pas « stopper » ainsi. L’ordre correct serait « mettre en dérive » ou « amener les voiles ».
Pour conclure, et pour faire l’éloge du film « Master and Commander » une fois de plus, je dirai que la scène de préparation au combat est excellente. Lorsque les marins frappent la rouille des boulets, lorsque l’ordre « mettez des silex neufs sur les pistolets et les canons » retentit, c’est formidable, car c’est exactement comme cela que cela se passait.
Il faut savoir que les boulets des XVIIIe-XIXe siècles avaient un aspect assez peu engageant : ils étaient stockés dans la cale, trempaient souvent dans l’eau et étaient très rouillés. D’ailleurs, dans les règlements de chargement et de tir, il existe un ordre spécifique stipulant qu’avant chaque tir il faut frapper le boulet contre le bord du canon. Apparemment, le but de ce choc était de faire tomber la rouille, la poussière et la saleté du boulet, pour ne pas les introduire dans l’âme du canon.
Il est clair qu’avant le combat, il était souhaitable de trier tous les boulets et d’en enlever la rouille ou la peinture.

Le film « Master and Commander » : les marins enlèvent la rouille des boulets
Les silex devaient, eux aussi, être posés avec beaucoup de soin. Je rappelle qu’on ne montait pas n’importe quel caillou. Chaque silex était taillé et reçu une forme de dent spéciale, nécessaire à son bon fonctionnement.
Chaque soldat devait avoir 2 ou 3 silex de rechange dans son giberne. Les silex étaient de différentes qualités. On devait ensuite envelopper le silex dans une petite plaque de plomb, découpée sur le bord en forme de dents. Cette plaque de plomb servait de mâchoire dans laquelle on insérait le silex. Ensuite, on pouvait théoriquement le visser directement, mais il était préférable de l’envelopper dans un morceau de cuir épais huilé, puis seulement de le fixer dans la mâchoire de la platine.
Il y avait une vis, que l’on tournait à l’aide d’un tournevis spécial. Il fallait faire cela très soigneusement pour ne pas endommager le filetage, car la vis pouvait être en acier ou en laiton.
De plus, il fallait serrer suffisamment pour que la vis ne bouge pas et pour que, sous l’effet des chocs répétés sur le silex, celui-ci ne se desserre pas et ne tombe pas. Si, en combat, le silex se fissurait ou tombait, on avait des pièces de rechange pour le remplacer, mais cela prenait plusieurs minutes, pendant lesquelles votre arme à feu était inutilisable.
En même temps, il fallait surveiller l’usure de la batterie en acier, vérifier que le moletage restait bien marqué et que les ressorts fonctionnaient correctement. Le soldat devait constamment surveiller sa platine à silex et vérifier, avant le combat, comment le silex frappait l’acier, car c’était crucial.
En résumé, je dirais que « Master and Commander » est un très bon film, qui restitue de nombreux aspects de la réalité des XVIIIe et début XIXe siècles. Mais, bien sûr, le film n’est pas exempt de défauts, qui peuvent, comme toujours, être relevés. Merci.
Nous espérons que cet article vous a été utile !
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